TEXTES sur les justifications de la Guerre froide
Mots-clés.
Le point
de vue américain
LE
RAPPORT KENNAN
Rapport
de George Frost Kennan, ambassadeur des Etats-Unis à Moscou (mars 1946),
publié
sous la signature " M. X. " par Foreign Affairs (juillet 1947).
Le
caractère politique de la puissance soviétique tel que nous le connaissons
aujourd'hui est le
produit
de l'idéologie et des circonstances : idéologie héritée du mouvement
révolutionnaire d'où est issu le régime, et circonstances dans lesquelles le
pouvoir a été exercé en Russie depuis près de trente ans. Il est peu de tâches
plus difficiles que l'analyse psychologique des répercussions réciproques de
ces deux forces et du rôle de chacune d'elles dans la détermination de la
conduite officielle des Soviets. Mais cette analyse est indispensable si l'on
veut comprendre cette conduite et la combattre efficacement.
Il est
difficile de résumer l'idéologie avec laquelle les dirigeants soviétiques ont
pris le pouvoir.
L'idéologie
marxiste, dans sa projection russe-communiste, a toujours été en voie de
subtile
évolution.
Les matériaux sur lesquels elle se base sont nombreux et complexes. Mais les
traits les plus importants de la pensée communiste telle qu'elle existait en
1916 peuvent se résumer comme suit :
a) le
facteur central de la vie humaine, le fait qui détermine le caractère de la vie
publique et la "physionomie de la société ", est le système en vertu
duquel les marchandises sont produites et échangées ;
b) le
système de production capitaliste est un système mauvais qui mène
inévitablement à
l'exploitation
de la classe ouvrière par la classe possédante et est incapable de développer
convenablement
les ressources économiques de la société ou de distribuer équitablement les
produits du travail ;
c) le
capitalisme contient le germe de sa propre destruction et doit, en raison de
l'incapacité de la classe possédante de s'adapter aux changements économiques,
aboutir inévitablement au transfert révolutionnaire du pouvoir à la classe
ouvrière ;
d)
l'impérialisme, dernière phase du capitalisme, conduit indirectement à la
guerre et à la révolution.
(...)
Pendant
cinquante ans, avant qu'éclatât la Révolution, cette pensée avait exercé un
grand attrait sur les membres du mouvement révolutionnaire russe. Déçus,
mécontents, désespérant - ou trop impatients - de pouvoir s'exprimer dans les
limites du régime politique tsariste, mais manquant du large soutien populaire
exigé par la révolution sanglante qu'ils croyaient être l'instrument
obligatoire du progrès social, ces révolutionnaires trouvaient dans la théorie
marxiste une confirmation très commode de leurs désirs instinctifs. Elle
apportait une justification scientifique à leur impatience, à leur refus
catégorique d'attribuer une valeur quelconque au régime tsariste, à leur soif
de pouvoir et de revanche, et à leur tendance à prendre des raccourcis pour
atteindre leur but. Il ne faut donc pas s'étonner qu'ils en soient arrivés à
croire implicitement à la vérité et à la solidité des enseignements marxistes.
On ne peut mettre leur sincérité en doute; c'est un phénomène aussi vieux que
l'humanité elle-même, et qui n'a jamais été mieux décrit que par Gibbon dans
"La décadence et la chute de l'Empire romain ":
"
De l'enthousiasme à l'imposture, le pas est périlleux et glissant; le démon de
Socrate offre un
mémorable
exemple de la manière dont un homme sage est susceptible de se tromper ; de
celle dont un homme juste peut tromper les autres ; de la façon dont la
conscience peut s'assoupir dans un état intermédiaire entre l'illusion et la
tromperie volontaire. "
Ce fut
avec cette série d'idées que les membres du parti bolchevik prirent le pouvoir.
Pendant
toutes les années de préparation à la Révolution, l'attention de ces hommes,
comme celle de Marx lui-même, s'était moins fixée sur la forme future que
prendrait le socialisme que sur le renversement nécessaire du régime rival qui,
selon eux, devait précéder l'établissement du socialisme.
Leurs
idées sur le programme positif à mettre en uvre une fois le pouvoir entre leurs
mains étaient, pour la plus grande partie, nébuleuses, chimériques et peu
pratiques. En dehors de la nationalisation de l'industrie et de l'expropriation
des grands domaines privés, il n'y avait pas de programme arrêté.
Le
traitement de la paysannerie qui, d'après Marx, n'appartenait pas au prolétariat,
était toujours demeuré vague dans la pensée communiste, et cette question resta
un objet de controverse et d'hésitation pendant les dix premières années du
régime communiste.
Les
circonstances de la période qui suivit immédiatement la Révolution -guerre
civile et intervention étrangère, à quoi s'ajoutait le fait que les communistes
ne représentaient qu'une petite minorité du peuple russe- firent de
l'instauration d'un pouvoir dictatorial une nécessité. L'expérience du "communisme
de guerre " et la brusque suppression de la production et du commerce
privés produisirent des conséquences économiques désastreuses et excitèrent la
résistance au nouveau régime. Tandis qu'une pause temporaire dans la
communisation de la Russie, la Nouvelle Politique Economique (NEP), atténuait
un peu cette détresse économique, ce qui était son but, elle montrait aussi que
le " secteur capitaliste de la société " était toujours prêt à
profiter aussitôt du moindre relâchement de la pression gouvernementale et que,
si on lui permettait de continuer à exister, il constituerait toujours un
puissant élément d'opposition au régime soviétique et un rival sérieux. Une
situation analogue régnait en ce qui concerne le paysan isolé qui, à son humble
manière, était lui aussi un producteur privé.
Lénine,
s'il avait vécu, aurait peut-être pu s'avérer assez grand homme pour
réconcilier ces forces opposées à l'avantage final de la société russe, bien
que ce soit douteux. Quoi qu'il en soit, Staline et ceux qu'il dirigea dans sa
lutte pour prendre la succession de Lénine n'étaient pas hommes à tolérer des
forces politiques rivales dans la sphère du pouvoir qu'ils convoitaient. Leur
fanatisme, que ne modérait aucune des traditions de compromis anglo-saxonnes,
était trop violent, trop jaloux pour envisager un partage permanent du pouvoir.
Du monde russo-asiatique d'où ils provenaient, ces hommes tenaient un certain
scepticisme quant à la possibilité de l'existence pacifique de forces rivales.
Aisément convaincus de la " justesse " de leur doctrine, ils
exigeaient la soumission ou la destruction de tout pouvoir concurrent. En
dehors du Parti communiste, la Russie ne devait comprendre aucune forme
d'activité collective ou d'association qui ne serait dominée par lui. Seul le
Parti serait autorisé à la vitalité et à la structure; tout le reste ne devait
être qu'une masse amorphe.
Et, au
sein du Parti, le même principe serait appliqué. La masse des membres du Parti
pourraient accomplir les mouvements du vote, de la délibération, de la décision
et de l'action; mais ces mouvements ne devaient pas être animés par leur
volonté individuelle, seul le souffle effrayant de la direction du Parti les
inspirerait.
Subjectivement,
ces hommes ne voulaient probablement pas l'absolutisme pour lui-même. Ils
croyaient
sans doute qu'eux seuls savaient ce qui ferait le bonheur de la société et
qu'ils le
réaliseraient
une fois leur pouvoir assuré et inébranlable. Mais afin d'arriver à cette
sécurité de leur pouvoir, ils ne reculeraient devant aucun moyen et lui
donneraient la priorité sur le bien-être et le bonheur des peuples confiés à
leurs soins.
(...)
Il est
dans la nature de l'ambiance intellectuelle des dirigeants soviétiques et dans
le caractère de leur idéologie de ne pouvoir reconnaître officiellement le
moindre mérite ou la moindre justification à une opposition quelconque. Aussi
longtemps que des restes de capitalisme étaient officiellement reconnus comme
existant en Russie, on pouvait les faire servir de prétexte au maintien d'une forme
dictatoriale de gouvernement. Mais au fur et à mesure de la liquidation de ces
éléments, cette justification faisait défaut, et quand ils eurent été
complètement détruits elle disparut complètement.
Ce fait
créa l'une des contraintes fondamentales qui pesèrent sur le régime soviétique
: du moment que le capitalisme n'existait plus en Russie et du moment qu'on ne
pouvait avouer qu'une opposition sérieuse au Kremlin pût surgir spontanément
des masses soumises à son autorité, il devenait nécessaire de justifier la
conservation de la dictature en soulignant la menace du capitalisme étranger.
Dès
1924, Staline défendit le maintien des " organes de suppression ",
c'est-à-dire, entre autres,l'armée et la police secrète, pour la raison "
qu'aussi longtemps qu'on serait encerclé par le capitalisme, il subsisterait un
danger d'intervention avec toutes les conséquences découlant de ce danger
". A partir de ce moment-là et conformément à cette théorie, toutes les
forces d'opposition intérieures, en Russie, ont toujours été dépeintes comme
des agents de forces étrangères de réaction hostiles à la puissance soviétique.
En
outre, il a été fortement insisté sur la thèse communiste selon laquelle un
antagonisme
fondamental
existe entre le monde capitaliste et le monde socialiste. Bien des signes
indiquent que cette assertion n'est pas fondée en réalité. Les faits ont été
confondus à cause de l'existence, à l'étranger, de grandes puissances
militaires, notamment le régime nazi en Allemagne et le gouvernement japonais
des dernières années 1930 qui avaient, en effet, des intentions agressives
contre l'Union soviétique. Mais les preuves ne manquent pas que l'importance
donnée à Moscou à la menace à laquelle les Soviets devaient faire face de la
part du monde extérieur ne se fonde pas sur les réalités de l'antagonisme
étranger, mais sur la nécessité d'expliquer le maintien du régime dictatorial
en Russie.
Cette
poursuite d'une autorité illimitée à l'intérieur, accompagnée de la culture du
demi-mythe d'une implacable hostilité étrangère, a fortement influé sur la
forme de l'appareil gouvernemental soviétique tel que nous le connaissons
aujourd'hui. On a laissé dépérir les organes administratifs qui ne servaient
pas ce but, et ceux qui le servaient se sont démesurément enflés. La sécurité
du pouvoir soviétique en est venue à reposer sur la discipline de fer du Parti,
sur la sévérité et l'ubiquité de la police secrète, et sur l'in- transigeant
monopolisme de l'Etat. Les " organes de suppression ", auxquels les
dirigeants soviétiques avaient demandé de les protéger contre les forces
rivales, devinrent, dans une large mesure, les maîtres de ceux qu'ils devaient
servir. Aujourd'hui la majeure partie de la structure de la puissance
soviétique est consacrée à perfectionner la dictature et à perpétuer l'idée
d'une Russie en état de siège, et dont l'ennemi menace les murs. Et les
millions d'êtres humains qui forment cette partie de la structure
gouvernementale sont obligés de défendre à tout prix cette conception de la
position de la Russie, car, sans elle, ils seraient superflus.
(...)
Voyons à
présent comment cet arrière-plan historique se traduit dans le caractère
politique du
régime
soviétique tel qu'il est aujourd'hui.
Rien n'a
été officiellement rejeté de l'idéologie originelle : croyance à la nature
fondamentalement mauvaise du capitalisme, à l'inévitabilité de sa destruction,
à l'obligation, pour le prolétariat, de concourir à cette destruction et de
prendre lui-même le pouvoir. Mais on en est arrivé à insister principalement
sur les idées le plus spécifiquement rattachées au régime soviétique : à sa
position de seul régime véritablement socialiste dans un monde obscur et égaré,
et à ses relations avec ce monde.
La
première de ces idées est celle de l'antagonisme inné entre le capitalisme et
le socialisme. Elle a de graves conséquences pour la conduite de la Russie en
tant que membre d'une société
internationale.
Elle fait que Moscou ne peut jamais supposer avec sincérité une communauté de
buts entre l'Union soviétique et les puissances considérées comme capitalistes.
Moscou doit invariablement supposer que les buts du monde capitaliste sont
opposés à ceux du régime soviétique et aux intérêts des peuples qu'il contrôle.
Si le gouvernement soviétique signe occasionnellement des documents qui
pourraient indiquer le contraire, il faut y voir une man uvre tactique permise
quand on traite avec l'ennemi (qui est sans honneur) et qui doit être admise
comme étant de bonne guerre. De cet antagonisme présupposé découlent nombre des
phénomènes qui nous troublent dans la conduite de la politique étrangère du
Kremlin : manque de franchise, suspicion, inimitié fondamentale des buts. Ces
caractères lui sont définitivement acquis; ils peuvent cependant varier
d'intensité selon ce que les Russes désirent obtenir; l'un ou l'autre peut
momentanément s'effacer; en ce cas, il y aura toujours des Américains qui
annonceront en bondissant de joie : " Les Russes ont changé! " et il
y en aura même qui s'attribueront le mérite de ces " changements ".
Mais nous ne devrions pas nous laisser leurrer par des manoeuvres tactiques.
Ces caractéristiques de la politique soviétique, de même que le postulat d'où
elles dérivent, sont fondamentales de la nature interne du régime soviétique,
et elles persisteront, visibles ou cachées, jusqu'à ce que la nature interne du
régime soviétique soit changée.
Ceci
implique que les tractations avec les Russes continueront longtemps encore à
être difficiles.
Non
qu'il faille les croire inébranlablement décidés à renverser notre régime à une
date déterminée.La théorie de l'inévitabilité de la chute du capitalisme
n'indique pas que celle-ci soit pressée. Les forces du progrès peuvent prendre
leur temps pour préparer le coup de grâce. En attendant, ce qui importe est que
la " Patrie du socialisme " - cette oasis déjà gagnée au socialisme
dans la personne de l'Union soviétique - soit aimée et défendue par tous les
bons communistes en Russie et à l'étranger, que ses chances soient favorisées,
ses ennemis harcelés et confondus. Provoquer à l'étranger une révolution "
aventureuse " et prématurée susceptible de gêner d'une manière quelconque
le régime soviétique serait un acte inexcusable, voire contre-révolutionnaire.
La fin du socialisme est le soutien et l'établissement du régime soviétique
tels qu'on les détermine à Moscou.
Ceci
nous amène à la seconde des idées importantes pour la compréhension de la
perspective
soviétique
contemporaine : c'est l'infaillibilité du Kremlin. La conception soviétique du
pouvoir, qui n'autorise aucun foyer d'organisation en dehors du Parti, exige
que la direction du Parti demeure en théorie l'unique dépositaire de la vérité.
Car si l'on devait pouvoir, trouver la vérité ailleurs, son expression en une
activité organisée serait justifiées Et c'est là précisément ce que le Kremlin
ne peut et ne veut pas permettre.
La
direction du Parti communiste a donc toujours raison, et elle a toujours eu
raison depuis qu'en 1929 Staline a donné une forme précise à son pouvoir
personnel en annonçant que les décisions du Politburo étaient prises à
l'unanimité.
La
discipline de fer du Parti repose sur ce principe d'infaillibilité; en fait,
ils se soutiennent mutuellement : une discipline parfaite exige la
reconnaissance de l'infaillibilité, et l'infaillibilité exige l'observance de
la discipline. Et les deux ensemble déterminent dans une large mesure le
comportement de tout l'appareil gouvernemental soviétique. Mais, pour en
comprendre les effets, il est indispensable de tenir compte d'un troisième facteur
: le fait que les dirigeants sont libres de soutenir n'importe quelle thèse
que, pour des raisons tactiques, ils trouvent utile à leurs fins à un moment
donné, et qu'ils peuvent exiger l'acceptation aveugle et fidèle de cette thèse
de la part des membres du mouvement dans sa totalité. Il en résulte que la
vérité n'est pas une constante mais qu'elle est, en fait, créée virtuellement
par les dirigeants soviétiques eux-mêmes. Elle peut varier d'une semaine à
l'autre, d'un mois à l'autre. Elle n'a rien d'absolu et d'immuable, rien qui
découle d'une réalité objective. Elle est seulement la manifestation la plus
récente de la sagacité de ceux en qui est censée résider la sagesse absolue
parce qu'ils représentent la logique de l'histoire. Ces facteurs accumulés ont
pour effet de donner à l'orientation de tout l'appareil subordonné du
gouvernement soviétique une obstination et une persévérance inébranlables.
Cette orientation peut être changée à volonté par le Kremlin mais par lui seul.
Une fois que le Parti a décidé d'une ligne de conduite à l'endroit d'une
question de politique courante, toute la machine gouvernementale, y compris le
mécanisme de la diplomatie, avance inexorablement dans la voie prescrite, comme
une automobile-joujou remontée et lancée dans une certaine direction, ne
s'arrêtant que si elle rencontre quelque force irréfragable. Les individus qui
composent cette machine sont réfractaires à tout raisonnement provenant d'une
source extérieure. On leur a enseigné à se méfier de la force de persuasion
spécieuse du monde extérieur. Comme le chien blanc devant le phonographe, ils
n'entendent que " la voix du maître ". Ainsi, le représentant
étranger ne peut espérer que ses paroles produisent sur eux la moindre
impression; tout ce qu'il peut espérer est qu'ils les transmettent aux
dirigeants, seuls capables de modifier la ligne du Parti. Mais il n'y a guère
de chances que ceux-ci se laissent influencer par la logique normale des
paroles du représentant bourgeois. Comme on ne peut invoquer de buts communs,
on ne peut faire appel à des processus mentaux communs. Pour cette raison, les
faits parlent plus fort que les mots aux oreilles du Kremlin; et les mots ont
d'autant plus de poids qu'ils reflètent des faits d'une authenticité
incontestable et sont confirmés par eux.
Mais
nous avons vu que son idéologie n'oblige nullement le Kremlin à se hâter.
Semblable à l'Église, il s'occupe d'idées d'une justesse à longue échéance et
il peut se permettre d'être patient. Les préceptes de Lénine lui-même doivent
être utilisés avec beaucoup de prudence et de souplesse dans la poursuite des
objectifs communistes, et les leçons de l'histoire russe fortifient ces
préceptes : ces siècles d'obscures batailles entre des armées nomades dans les
vastes étendues d'une plaine dénuée de forts. La circonspection, la souplesse
et la tromperie sont, dans une telle guerre, les qualités les plus précieuses,
et elles sont tout naturellement appréciées par l'esprit russe ou oriental. Le
Kremlin n'hésite donc pas à reculer devant une force supérieure ; aucun horaire
ne le hâtant, la nécessité de la retraite ne l'affole pas. Son action politique
est un flot fluide constamment en mouvement vers un but déterminé, avançant
partout où il peut passer. Il se préoccupe surtout de remplir tous les coins et
recoins disponibles de la puissance mondiale ; mais s'il trouve des barrières
infranchissables sur son
chemin,
il les accepte et s'en accommode avec philosophie. L'important est qu'il y ait
une pression continue, une pression constamment accrue en, direction du but
désiré. Rien, dans la psychologie soviétique, n'indique que ce but doive être
atteint à un moment déterminé.
Ces
considérations rendent les rapports avec la diplomatie soviétique à la fois
plus faciles et plus difficiles qu'avec des dictateurs individuels comme
Napoléon et Hitler. D'une part, la diplomatie soviétique est plus sensible à la
force opposée, plus prête à céder sur des secteurs isolés du front
diplomatique, lorsqu'elle sent cette force trop puissante, et elle est, par là,
plus rationnelle dans la logique et la rhétorique de la puissance. D'autre
part, elle ne se laisse pas aisément vaincre ou décourager par une seule
victoire de ses adversaires. Et la patiente persistance qui l'anime indique
qu'elle ne peut être effectivement combattue par des actes sporadiques,
représentant les caprices momentanés de l'opinion publique démocratique, mais
seulement par les politiques intelligentes, à longue portée, de ses adversaires
politiques, non moins persistantes dans leurs intentions et non moins variées
et ingénieuses dans leur mise en oeuvre que la politique de l'Union soviétique
elle-même.
Dans ces
circonstances, il est clair que le principal élément de n'importe quelle
politique des
Etats-Unis
à l'égard de la Russie soviétique doit être de contenir avec patience, fermeté
et vigilance ses tendances à l'expansion. Il importe cependant de noter qu'une
telle politique n'implique ni menaces, ni bravades, ni gestes superflus d'une
inflexibilité apparente. Tout en étant fondamentalement souple dans ses
réactions aux réalités politiques, le Kremlin n'est nullement insensible aux
considérations de prestige. Comme n'importe quel autre gouvernement, il peut
être placé, par des gestes menaçants et dépourvus de tact, dans une position
telle qu'il ne puisse céder, même si son sens des réalités lui dicte de le
faire. Les dirigeants russes sont d'excellents juges de la psychologie humaine
et, comme tels, ils ont très nettement conscience que la perte de la maîtrise
de soi n'est jamais génératrice de force dans les affaires politiques. Ils sont
prompts à exploiter de tels signes de faiblesse. Une condition sine qua non du
succès d'une négociation avec la Russie est donc que le gouvernement étranger
reste toujours calme et de sang-froid, et que ses exigences soient exprimées de
manière qu'un acquiescement ne porte pas trop préjudice au prestige de la
Russie.
(...)
D'après
ce qui vient d'être exposé, il apparaît clairement que la pression soviétique
contre les libres institutions du monde occidental peut être contenue par
l'adroite et vigilante application d'une force contraire sur une série de
points géographiques et politiques continuellement changeants, correspondant
aux changements et aux manoeuvres de la politique soviétique, mais qu'il est
impossible de nier l'existence de cette pression et de la supprimer par le seul
effet des paroles. "
(Traduction
française : G. Kennan, La diplomatie américaine 1900-1950, Calmann-Lévy,
1952,
p.147-174.)
extraits
de : Charles Zorgbibe, "textes de politique internationale depuis
1945", PUF,
Que
sais-je ? 2224, pp. 5-16
Le point
de vue soviétique
LE
RAPPORT JDANOV
Rapport
" sur la situation internationale " présenté par Andreï Jdanov,
membre du
bureau
politique du Parti communiste soviétique, le 22 septembre 1947, devant la
Conférence
d'information des partis communistes (réunion constitutive du Kominform), à
Szklarska
Poreba (Pologne).
"Le
but que se pose le nouveau cours expansionniste des Etats-Unis est
l'établissement de la
domination
mondiale de l'impérialisme américain. Ce nouveau cours vise à la consolidation
de la situation de monopole des Etats-Unis sur les marchés, monopole qui s'est
établi par suite de la disparition de leurs deux concurrents les plus grands -
l'Allemagne et le Japon - et par
l'affaiblissement
des partenaires capitalistes des Etats-Unis : l'Angleterre et la France.
Ce
nouveau cours compte sur un large programme de mesures d'ordre militaire,
économique et politique, dont l'application établirait dans tous les pays visés
par l'expansionnisme des Etats-Unis la domination politique et économique de
ces derniers, réduirait ces pays à l'état de satellites des Etats-Unis, y
instaurerait des régimes intérieurs qui élimineraient tout obstacle de la part
du mouvement ouvrier et démocratique à l'exploitation de ces pays par le
capital américain. Les Etats-Unis d'Amérique cherchent à étendre actuellement
l'application de ce nouveau cours politique non seulement envers les ennemis de
la guerre d'hier, ou envers les Etats neutres, mais aussi de façon toujours
plus grande, envers les alliés de guerre des Etats-Unis d'Amérique.
On
attache une attention spéciale à l'utilisation des difficultés économiques de
l'Angleterre - l'allié et en même temps le rival capitaliste et concurrent
depuis longue date des Etats-Unis. Le cours expansionniste américain a pour
point de départ la considération que non seulement il faudra ne pas détendre
l'étau de la dépendance économique vis-à-vis des Etats-Unis, dans lequel
l'Angleterre est tombée durant la guerre, mais, au contraire, renforcer la
pression sur l'Angleterre, afin de lui ravir successivement son contrôle sur
les colonies, l'évincer de ses sphères d'influence et la réduire à l'état de
vassal.
Ainsi,
par leur nouvelle politique, les Etats-Unis tendent à raffermir leur situation
de monopole et comptent assujettir et mettre sous leur dépendance leurs propres
partenaires capitalistes.
Mais,
sur le chemin de leurs aspirations à la domination mondiale, les Etats-Unis se
heurtent à
l'URSS
avec son influence internationale croissante, comme au bastion de la politique
anti-impérialiste
et antifasciste, aux pays de la nouvelle démocratie qui ont échappé au contrôle
de l'impérialisme anglo-américain, aux ouvriers de tous les pays, y compris les
ouvriers de l'Amérique même, qui ne veulent pas de nouvelle guerre de
domination au profit de leurs propres oppresseurs.
C'est
pourquoi le nouveau cours expansionniste et réactionnaire de la politique des
Etats-Unis vise à la lutte contre 1'URSS, contre les pays de la nouvelle
démocratie, contre le mouvement ouvrier de tous les pays, contre le mouvement
ouvrier aux Etats-Unis, contre les forces anti-impérialistes de libération dans
tous les pays.
Les
réactionnaires américains, inquiets des succès du socialisme en URSS, des
succès des pays de la nouvelle démocratie et de la croissance du mouvement
ouvrier et démocratique dans tous les pays du monde entier, après la guerre,
sont enclins à se fixer comme tâche celle de " sauver " le système
capitaliste du communisme.
De sorte
que le programme franchement expansionniste des Etats-Unis rappelle
extraordinairement le programme aventurier des agresseurs fascistes, qui a
misérablement échoué, agresseurs qui, comme on le sait, se considéraient
naguère aussi comme des prétendants à la domination mondiale.
Comme
les hitlériens, lorsqu'ils préparaient l'agression de brigandage afin de
s'assurer la possibilité d'opprimer et d'asservir tous les peuples et avant
tout leur propre peuple, se masquaient de l'anticommunisme; de la même manière,
les cercles dirigeants d'aujourd'hui des Etats-Unis dissimulent leur politique
d'expansion et même leur offensive contre les intérêts vitaux de leur
concurrent impérialiste devenu plus faible - l'Angleterre - par des tâches de
pseudo-défense anticommuniste.
La
course fiévreuse aux armements, la construction de nouvelles bases et la
création de places
d'armes
pour les forces armées américaines dans toutes les parties du monde sont
justifiées par les arguments pharisiens et faux de la soi-disant " défense
" contre le danger militaire imaginaire de la part de l'URSS.
La
diplomatie américaine agissant par les méthodes de menaces, de corruption et de
chantage
arrache
facilement des autres pays capitalistes, et avant tout de l'Angleterre, le
consentement à
l'affermissement
légal des positions avantageuses américaines en Europe et en Asie, dans les
zones occidentales de l'Allemagne, en Autriche, en Italie, en Grèce, en
Turquie, en Egypte, en Iran, en Afghanistan, en Chine, au Japon, etc.
Les
impérialistes américains, se considérant comme la force principale opposée à
1'URSS, aux pays de la nouvelle démocratie, au mouvement ouvrier et
démocratique de tous les pays du monde, se considérant comme le bastion des
forces réactionnaires, anti-démocratiques du monde entier, ont entrepris
littéralement, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, de dresser contre
1'URSS et la démocratie mondiale un front hostile et d'encourager les forces réactionnaires,
anti-populaires, les collaborationnistes et les anciennes créatures
capitalistes dans les pays européens qui, libérés du joug hitlérien, ont
commencé à organiser leur vie selon leur propre choix.
Les
politiciens impérialistes les plus enragés et déséquilibrés ont commencé, après
Churchill, à dresser des plans en vue d'organiser le plus rapidement possible
une guerre préventive contre 1'URSS, faisant ouvertement appel à l'utilisation
contre les hommes soviétiques du monopole américain temporaire de l'arme
atomique.
Les
instigateurs de la nouvelle guerre tentant d'utiliser l'intimidation et le
chantage non seulement envers 1'URSS, mais aussi envers les autres pays, et en
particulier, envers la Chine et l'Inde, présentent d'une façon calomnieuse 1'URSS
comme agresseur possible, et se présentent eux-mêmes en qualité d' " amis
" de la Chine et de l'Inde, comme " sauveurs " du danger
communiste, appelés à " aider " les plus faibles. De cette façon, on
accomplit la tâche de maintenir dans l'obéissance à l'impérialisme l'Inde et la
Chine et de prolonger leur asservissement politique et économique.
(...)
La
politique extérieure expansionniste, inspirée et menée par la réaction
américaine, prévoit une activité simultanée dans toutes les directions :
1) mesures
militaires stratégiques ;
2)
expansion économique ;
3) lutte
idéologique.
La
réalisation des plans militaires stratégiques de futures agressions est liée
aux efforts pour utiliser au maximum l'appareil de production militaire des
Etats-Unis qui s'est accru considérablement vers la fin de la Deuxième Guerre
mondiale. L'impérialisme américain mène une politique conséquente de
militarisation du pays. Aux Etats-Unis, les dépenses pour l'armée et la flotte
dépassent 11 milliards de dollars par an. En 1947-1948, les Etats-Unis ont
assigné pour l'entretien de leurs forces armées 35%. du budget, soit 11 fois
plus qu'en 1937-1938.
Si, au
début de la Deuxième Guerre mondiale, l'armée des Etats-Unis occupait la
dix-septième place de tous les pays capitalistes, actuellement elle occupe la
première place. Parallèlement à
l'accumulation
des bombes atomiques, les stratèges américains ne se gênent pas pour dire
qu'aux Etats-Unis se font des préparatifs pour l'arme bactériologique.
Le plan
militaire stratégique des Etats-Unis prévoit la création, en temps de paix, de
nombreuses bases et places d'armes, très éloignées du continent américain et
destinées à être utilisées dans des buts d'agression contre 1'URSS et les pays
de la nouvelle démocratie. Les bases américaines militaires, aériennes et
navales, existent ou sont de nouveau en voie de création en Alaska, au Japon,
en Italie, au sud de la Corée, en Chine, en Egypte, en Iran, en Turquie, en
Grèce, en Autriche et en Allemagne occidentale. Une mission militaire
américaine opère en Afghanistan et même au Népal. Des préparatifs se font
fiévreusement pour utiliser l'Arctique en vue d'une agression militaire.
Bien que
la guerre soit déjà finie depuis longtemps, l'alliance militaire entre
l'Angleterre et les Etats-Unis subsiste encore, de même que l'état-major
anglo-américain unifié des forces armées. Sous l'enseigne de la convention sur
la standardisation des armements, les Etats-Unis ont étendu leur contrôle sur
les forces armées et les plans militaires des autres pays, en premier lieu de
l'Angleterre et du Canada. Sous l'enseigne de la défense commune de
l'hémisphère occidental, les pays de l'Amérique latine sont en voie d'entrer
dans l'orbite des plans d'expansion militaire des Etats-Unis.
Le
gouvernement des Etats-Unis a annoncé que sa tâche officielle était d'aider à
la modernisation de l'armée turque. L'armée du Kuomintang réactionnaire fait
son instruction avec des officiers américains et reçoit du matériel américain.
La clique militaire devient une force politique active aux Etats-Unis, dont
elle fournit, sur une grande échelle, les hommes d'Etat et les diplomates qui
suivent une ligne militariste agressive dans toute la politique du pays.
L'expansion
économique des Etats-Unis complète d'une façon importante la réalisation du
plan stratégique. L'impérialisme américain s'efforce, comme un usurier,
d'exploiter les difficultés d'après guerre des pays européens, surtout la
pénurie de matières premières, de combustibles et de denrées alimentaires dans
les pays alliés qui ont le plus souffert de la guerre, pour leur dicter ses
conditions asservissantes de secours. En prévision de la crise économique
imminente, les Etats-Unis s'empressent de trouver de nouvelles sphères de
monopole pour l'investissement des capitaux et pour l'écoulement des
marchandises. Le " secours " économique des Etats-Unis a pour but
d'asservir l'Europe au capital américain. Plus la situation économique d'un
pays est grave, plus les monopoles américains s'efforcent de lui dicter de
dures conditions.
Mais le
contrôle économique entraîne aussi avec lui une dépendance politique de
l'impérialisme américain. Ainsi, l'extension des sphères d'écoulement des
marchandises américaines se combine pour les Etats-Unis avec l'acquisition de
nouvelles places d'armes propices à la lutte contre les nouvelles forces
démocratiques de l'Europe. En " sauvant " un pays de la famine et de
la ruine, les monopoles américains ont le dessein de le priver de toute
indépendance. L' " aide " américaine entraîne presque automatiquement
des modifications de la ligne politique du pays qui reçoit cette "aide
" : viennent au pouvoir des partis et des personnalités qui, obéissant aux
directives de Washington, sont prêts à réaliser, dans leur politique intérieure
et extérieure, le programme désiré par les Etats-Unis (France, Italie, etc.).
Enfin,
les aspirations des Etats-Unis à la domination mondiale et leur ligne
antidémocratique
comportent
aussi une lutte idéologique. La tâche principale de la partie idéologique du
plan
stratégique
américain consiste à user du chantage envers l'opinion publique, à répandre des
calomnies
sur la prétendue agressivité de l'Union soviétique et des pays de la nouvelle
démocratie, afin de pouvoir ainsi présenter le bloc anglo-saxon dans le rôle
d'un bloc de prétendue défense et le décharger de la responsabilité dans la
préparation de la nouvelle guerre. La popularité de l'Union soviétique à
l'étranger s'est considérablement accrue pendant la Deuxième Guerre mondiale.
Par sa lutte héroïque, pleine d'abnégation, contre l'impérialisme, l'Union
soviétique a gagné l'amour et le respect des travailleurs de tous les pays. La
puissance militaire et économique de l'Etat socialiste et la force
indestructible de l'unité morale et politique de la société soviétique ont été
démontrées clairement devant le monde entier. Les milieux réactionnaires des
Etats-Unis et de l'Angleterre se demandent avec souci comment dissiper
l'impression inoubliable que le régime socialiste produit sur les ouvriers et
les travailleurs du monde entier. Les instigateurs de guerre se rendent très
bien compte que, pour envoyer les soldats combattre contre l'Union soviétique,
une longue préparation idéologique est nécessaire.
Dans
leur lutte idéologique contre l'URSS, les impérialistes américains, qui
s'orientent mal dans les problèmes politiques et montrent leur ignorance,
mettent en avant tout d'abord l'image représentant l'Union soviétique comme une
force soi-disant antidémocratique, totalitaire, tandis que les Etats-Unis,
l'Angleterre et tout le monde capitaliste sont présentés comme des démocraties.
Cette
plate-forme de la lutte idéologique - défense de la pseudo-démocratie
bourgeoise et attribution au communisme de traits totalitaires - unit tous les
ennemis de la classe ouvrière sans exception, depuis les magnats capitalistes
jusqu'aux leaders socialistes de droite qui, avec un grand empressement,
s'emparent de n'importe quelle calomnie antisoviétique, dictée par leurs
maîtres impérialistes. Le pivot de cette propagande fourbe réside dans
l'affirmation que l'existence de plusieurs partis et d'une minorité
oppositionnelle organisée serait l'indice d'une démocratie véritable.
Sur
cette base, les " travaillistes " anglais, ne ménageant pas leurs
forces pour lutter contre le communisme, auraient voulu déceler qu'il y a, en
URSS, des classes antagonistes et une lutte de partis correspondante. Ignorants
en politique, ils ne peuvent pas arriver à comprendre que, depuis longtemps
déjà, il n'y a plus en URSS de capitalistes et de propriétaires fonciers, qu'il
n'y a plus de classes antagonistes et, partant, qu'il ne pourrait y exister
plusieurs partis. Ils auraient voulu avoir en URSS des partis chers à leurs
coeurs, des partis bourgeois, y compris des partis pseudo-socialistes, en tant
qu'agence impérialiste. Mais, pour leur malheur, l'histoire a condamné ces
partis bourgeois exploiteurs à disparaître.
(...)
La
dissolution du Komintern, répondant aux exigences du développement du mouvement
ouvrier dans les conditions de la nouvelle situation historique, a joué son
rôle positif. Par la dissolution du Komintern, il a été mis fin pour toujours à
la calomnie répandue par les adversaires du communisme et du mouvement ouvrier,
à savoir que Moscou s'immisce dans la vie intérieure des autres Etats et que,
soi-disant, les partis communistes des différents pays n'agissent pas dans
l'intérêt de leur peuple, mais d'après les ordres du dehors.
Le
Komintern avait été créé après la Première Guerre mondiale, quand les partis
communistes
étaient
encore faibles, quand la liaison entre la classe ouvrière des différents pays
était presque inexistante et quand les partis communistes n'avaient pas encore
de dirigeants du mouvement ouvrier généralement reconnus. Le Komintern eut le
mérite de rétablir et de raffermir les relations entre les travailleurs des
différents pays, d'élaborer les positions théoriques du mouvement ouvrier dans
les nouvelles conditions du développement d'après-guerre, d'établir les règles
communes d'agitation et de propagande des idées du communisme et de faciliter
la formation des dirigeants du mouvement ouvrier. Ainsi ont été créées les
conditions de la transformation des jeunes partis communistes en partis
ouvriers de masse.
Cependant,
à partir du moment où les partis communistes se transformèrent en partis
ouvriers de masse, leur direction provenant d'un centre devenait impossible et
non conforme au but. On est arrivé à ceci que le Komintern, de facteur aidant
au développement des partis communistes, avait commencé à se transformer en
facteur freinant ce développement. La nouvelle phase de développement des
partis communistes exigeait de nouvelles formes de liaison entre les partis. Ce
sont ces circonstances qui ont déterminé la nécessité de la dissolution du
Komintern et de l'organisation de nouvelles formes de liaison entre les partis.
Pendant
les quatre années qui se sont écoulées depuis la dissolution du Komintern, on
enregistre un renforcement considérable des partis communistes, une extension
de leur influence dans presque tous les pays de l'Europe et de l'Asie.
L'influence des partis communistes s'est accrue non seulement dans les pays de
l'Europe orientale, mais également dans presque tous les pays de l'Europe qui
avaient connu la domination fasciste, ainsi que dans les pays comme la France,
la Belgique, les Pays-Bas, la Norvège, le Danemark, la Finlande, etc., qui
avaient connu l'occupation fasciste allemande. L'influence des communistes
s'est renforcée tout particulièrement dans les pays de la nouvelle démocratie,
où les partis communistes sont devenus les partis les plus influents de ces
Etats.
Pourtant,
dans la situation actuelle des partis communistes, il y a aussi des faiblesses
propres.
Certains
camarades avaient considéré la dissolution du Komintern comme signifiant la
liquidation de toutes les liaisons, de tout contact entre les partis
communistes frères. Or, comme l'expérience l'a démontré, une pareille
séparation des partis communistes n'est pas juste, mais nuisible et foncièrement
contre nature. Le mouvement communiste se développe dans les cadres
nationaux,mais, en même temps, il est placé devant des tâches et des intérêts
communs aux partis communistes des différents pays.
En fait,
on se trouve devant un tableau bien étrange : les socialistes, qui se démènent
farouchement pour prouver que le Komintern avait soi-disant dicté des
directives de Moscou aux communistes de tous les pays, ont reconstitué leur
Internationale, tandis que les communistes s'abstiennent de se rencontrer, et
encore plus, de se consulter sur les questions qui les intéressent
mutuellement, et tout cela par crainte de la calomnie des ennemis au sujet de
la " main de Moscou ".
Les
représentants des différentes branches d'activité - les savants, les coopérateurs,
les militants syndicaux, les jeunes, les étudiants - estiment, qu'il est
possible d'entretenir entre eux un contact international, de faire des échanges
de leurs expériences et de se consulter sur les questions concernant leurs
travaux, d'organiser des conférences et des délibérations internationales,
tandis que les communistes, même ceux des pays qui ont des relations d'alliés,
se sentent gênés pour établir entre eux des relations d'amitié. Il n'y a pas de
doute que pareille situation, si elle se prolonge, ne soit grosse de
conséquences très nuisibles au développement du travail des partis frères. Ce
besoin de consultation et de coordination libre des activités des différents
partis est devenu particulièrement pressant, surtout maintenant, alors que la
continuation de l'éparpillement pourrait conduire à l'affaiblissement de la
compréhension réciproque et parfois même à des erreurs sérieuses.
Puisque
la plus grande partie des dirigeants des partis socialistes (surtout les
travaillistes anglais et les socialistes français) se comporte comme agents de
cercles impérialistes des Etats-Unis d'Amérique, c'est aux partis communistes
qu'incombe le rôle historique particulier de se mettre à la tête de la
résistance au plan américain d'asservissement de l'Europe et de démasquer
résolument tous les auxiliaires intérieurs de l'impérialisme américain. En même
temps, les communistes doivent soutenir tous les éléments vraiment patriotiques
qui n'acceptent pas de laisser porter atteinte à leur patrie, qui veulent lutter
contre l'asservissement de leur patrie au capital étranger et pour la
sauvegarde de la souveraineté nationale de leur pays. Les communistes doivent
être la force dirigeante qui entraîne tous les éléments antifascistes épris de
liberté à la lutte contre les nouveaux plans expansionnistes américains
d'asservissement de l'Europe.
Il
importe de considérer qu'il y a très loin du désir des impérialistes de
déclencher une nouvelle guerre à la possibilité d'organiser une telle guerre.
Les peuples du monde entier ne veulent pas la guerre. Les forces attachées à la
paix sont si grandes et si puissantes qu'il suffirait qu'elles fassent preuve
de ténacité et de fermeté dans la lutte pour la défense de la paix pour que les
plans des agresseurs subissent un fiasco total. Il ne faut pas oublier que le
bruit fait par les agents impérialistes autour des dangers de guerre tend à
intimider les gens sans fermeté ou ceux à nerfs faibles, afin de pouvoir, au
moyen du chantage, obtenir des concessions en faveur de l'agresseur.
Actuellement,
le danger principal pour la classe ouvrière consiste en la sous-estimation de
ses
propres
forces et en la surestimation des forces de l'adversaire. De même que, dans le
passé, la
politique
munichoise a encouragé l'agression hitlérienne, de même aujourd'hui, les
concessions à la nouvelle orientation des Etats-Unis d'Amérique et du camp
impérialiste peuvent inciter ses inspirateurs à devenir plus insolents et plus
agressifs. C'est pourquoi les partis communistes doivent se mettre à la tête de
la résistance dans tous les domaines - gouvernemental, économique et
idéologique - aux plans impérialistes d'expansion et d'agression. Ils doivent
serrer leurs rangs, unir leurs efforts sur la base d'une plate-forme
anti-impérialiste et démocratique commune, et rallier autour d'eux toutes les
forces démocratiques et patriotiques du peuple.
Une
tâche particulière incombe aux partis communistes frères de France, d'Italie,
d'Angleterre et des autres pays. Ils doivent prendre en main le drapeau de la
défense de l'indépendance nationale et de la souveraineté de leurs propres
pays. Si les partis communistes frères restent fermes sur leurs positions,
s'ils ne se laissent pas influencer par l'intimidation et le chantage, s'ils se
comportent résolument en sentinelles de la paix durable et de la démocratie
populaire, de la souveraineté nationale, de la liberté et de l'indépendance de
leur pays, s'ils savent, dans leur lutte contre les tentatives d'asservissement
économique et politique de leur pays, se mettre à la tête de toutes les forces
disposées à défendre la cause de l'honneur et de l'indépendance nationale,
aucun des plans d'asservissement de l'Europe ne pourra être réalisé."
("Pour
une paix durable, pour une démocratie populaire", 1er novembre 1947)
extraits
de : Charles Zorgbibe, "textes de politique internationale depuis
1945", PUF,
Que
sais-je ? 2224, pp. 17-28
Dans ses
Mémoires, Jacques Duclos, dirigeant communiste français,
raconte
:
En 1947,
la tension internationale amène les Soviétiques - qui ont supprimé quatre ans
plus tôt
le Komintern - à regrouper dans une nouvelle organisation les partis
communistes européens. C'est le Kominform (qui disparaîtra d'ailleurs à son
tour en 1956).
"A
la fin du mois de septembre 1947, je participai avec retienne Fajon à une
conférence de neuf partis communistes qui se tint en Pologne (...)
Le
camarade André Jdanov examina les changements profonds survenus dans la
situation
internationale
et dans la situation des différents pays. Il analysa la nouvelle disposition
des forces politiques d'après- guerre et la formation des deux camps : d'une
part le camp impérialiste, d'autre part le camp anti-impérialiste et
démocratique.
Il
montra que la doctrine Truman et le plan Marshall étaient l'expression des
efforts expansionnistes de l'impérialisme américain et visaient notamment à
créer des bases américaines dans la partie occidentale du bassin méditerranéen,
à soutenir les régimes réactionnaires et à faire pression sur les nouvelles
démocraties populaires.
Dans sa
conclusion, le rapport examinait les tâches incombant aux Partis communistes
pour le
rassemblement
de tous les éléments démocratiques, antifascistes et amis de la paix dans la
lutte contre les nouveaux plans de guerre et d'agression.
"
Une tâche particulière, était-il dit à la fin du rapport, incombe aux Partis
communistes frères de France, d'Italie, d'Angleterre et des autres pays. Ils
doivent prendre en main le drapeau de la défense de l'indépendance nationale et
de la souveraineté de leurs propres pays. Si les Partis
communistes
frères restent fermes sur leurs positions, s'ils ne se laissent pas influencer
par
l'intimidation
et le chantage, s'ils se comportent résolument en sentinelles de la paix
durable et de la démocratie populaire, de la souveraineté nationale, de la
liberté et de l'indépendance de leurs pays, s'ils savent, dans la lutte contre
les tentatives d'asservissement économique et politique de leurs pays, se
mettre à la tête de toutes les forces disposées à défendre la cause de l'honneur
et de l'indépendance nationale, aucun des plans d'asservissement de l'Europe ne
pourra être réalisé. " (...)
Quant à
la conclusion de la déclaration, elle était la suivante :
"
Le danger principal pour la force ouvrière consiste actuellement dans la
sous-estimation de ses propres forces et dans la surestimation des forces du
"
C'est pourquoi les Partis communistes doivent se mettre à la tête de la
résistance dans tous les domaines - gouvernemental, politique et idéologique -
aux plans impérialistes d'expansion et d'agression. Ils doivent serrer leurs
rangs, unir leurs efforts sur la base d'une plate-forme
anti-impérialiste
et démocratique commune et rallier autour d'eux toutes les forces démocratiques
et patriotiques du peuple. "
Extrait
de "Les mémoires de l'Europe", tome VI, l'Europe moderne, sous la
direction de Jean-Pierre Vivet, édition Robert Laffont, Paris, 1973